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Le blog de Laurent Manoeuvre

Livres d'art (impressionnisme, peinture de marine)

Auteur de livres d'art, qu'est-ce que c'est ?

Publié par laurentmanoeuvre.over-blog.com in Livres d'art

Quand je dis : "J'écris des livres d'art...", la plupart des gens me regardent d'un air un peu étonné. Certains répondent : "Ah, vous écrivez des livres qui permettent d'apprendre à peindre !" C'est vrai que copier des œuvres a toujours fait partie de la formation des artistes. Autrefois, on copiait des peintures originales, ou des gravures qui, elles-mêmes, reproduisaient une œuvre originale. Alors, pourquoi ne pas copier des reproductions de livres ? Si les livres que j'ai publiés servent à la formation d'artistes, alors j'en serai très content.

En réalité, un livre d'art est un paradoxe. Pour affirmer la crédibilité de leur publication, les éditeurs font généralement appel à des spécialistes. Pour mériter leur statut de spécialistes, ces auteurs doivent faire preuve d'érudition. Ces auteurs sont plus à l'aise quand ils écrivent un article destiné à des confrères et publié dans une revue spécialisée, voire scientifique. Comment parler à un public averti, curieux, certes, mais qui n'est pas spécialiste du sujet ? L'éditeur est là pour aider les auteurs à y parvenir, pour les inciter à être compréhensibles par tous, pour les empêcher de se lancer dans des débats qui n'intéressent que quelques spécialistes. Il faut raconter une histoire, dit-on. Avec une personnalité aussi romanesque que celle de Garneray, qui fut corsaire, négrier, espion... c'est chose relativement facile. Mais pour d'autres, dont la vie fut dénuée de relief et essentiellement consacrée à leur art, l'exercice s'avère plus difficile. Et, lorsqu'un éditeur vous demande un énième ouvrage sur l'artiste dont vous êtes le spécialiste, il est parfois difficile de trouver un angle nouveau pour raconter l'histoire.

L'histoire s'appuie sur des informations qu'il faut réunir, interpréter. Un artiste n'est jamais un absolu. Il vit à une certaine époque, évolue dans un milieu. Explorer cette époque et ce milieu est indispensable pour comprendre les motivations de l'artiste, pour mesurer l'importance de ses choix. Le romantisme a mis l'accent sur ceux que Baudelaire a appelé "les phares". L'idée selon laquelle ces "phares" seraient seuls capables d'invention continue de régner parmi les historiens de l'art du dix-neuvième siècle, et aussi parmi le public. La création résulte de nombreux échanges. Certains créateurs sont habiles à promouvoir leur œuvre. Ces œuvres étant très visibles, on attribue à leurs créateurs un grand pouvoir d'innovation, parfois à juste titre, parfois non. 

Interpréter ne veut pas dire romancer. Même quand nous disposons d'une abondante documentation sur un artiste, il reste souvent des zones d'ombre plus ou moins obscure. Avancer certaines propositions concernant ces zones d'ombre nécessite beaucoup de précautions. Il faut, à tout le moins, prévenir le lecteur que l'on avance sur un sol instable.

Un autre danger consiste à faire de l'artiste un héros. Chaque personnalité a ses forces et ses faiblesses, même dans ses créations. Daniel Wildenstein a voulu faire de Claude Monet un phénix. Tel Athéna, Monet serait sorti tout armé de la cuisse de Jupiter : rencontrant Boudin en 1858, il produirait aussitôt des peintures dignes de son maître. Pour étayer son postulat, Daniel Wildentsein a fait subir aux sources certaines distorsions, allant jusqu'à soupçonner Monet d'avoir une mauvaise mémoire. En réalité, les sources s'accordent si l'on suppose que la rencontre de Monet et de Boudin remonte à l'année 1856. Est-ce vraiment important ? Oui, si l'on estime que le rôle de l'histoire de l'art est d'aller au plus prêt du certaine vérité.

Les travaux universitaires mettent à juste titre l'accent sur la bibliographie. Malheureusement, aucun auteur n'est infaillible. Si un ouvrage fait référence, tel celui de Daniel Wildenstein sur Monet, ses erreurs seront répétées de livre en livre. Soumettre à un examen critique le travail de ses prédécesseurs est une nécessité. Les archives, les correspondances, aident grandement à ce travail critique. Ce sont des mines d'informations trop souvent inexploitées.

A mes débuts, quand quelqu'un me disait : "j'ai beaucoup aimé votre livre", je commettais l'erreur d'entrer aussitôt dans le sujet. Je constatais vite que la personne en question n'avait pas lu, ou avait lu très superficiellement, mon texte. Je soupçonne, peut-être à tort, que beaucoup de personnes achètent un livre d'art pour ses images, plutôt que pour ses textes. L'auteur a donc travaillé durement, fait d'innombrables recherches, parfois pendant des années, pour... ne pas être lu.

Dans les textes, il faut éviter de faire référence à des œuvres que l'on ne montre pas. Cela frustre le lecteur. Mais doit-on décrire longuement des œuvres qui sont reproduites à proximité ? Oui, dans la mesure ou cela apporte du sens au raisonnement. Sinon, il est difficile de rivaliser avec Georges Perec.

Certains ouvrages sont conçus pour être uniquement des objets de plaisir. Ils comportent généralement peu de textes. Cela ne signifie pas que ces textes doivent être indigents. Au contraire, plus un texte est bref, plus il doit être travaillé en vue d'une certaine perfection, tant sur le fond que sur la forme.

Faire un livre d'art, c'est un travail d'équipe. L'éditeur n'est pas seulement celui qui apporte les moyens financiers permettant de réaliser le livre. Il guide l'auteur. Le maquettiste joue également un rôle très important pour l'équilibre et la beauté du livre. Il y a aussi le relecteur, qui veille à la cohérence du texte et du style. Et puis les photographes et photograveurs dont le travail sera déterminant pour la qualité des images. Enfin vient l'imprimeur, qui s'occupe également de la reliure. Tous ces gens sont des professionnels. Travailler avec eux est extrêmement enrichissant. Et puis il y a le libraire, dont le rôle est tout aussi fondamental. C'est lui qui, bien souvent, déclenchera la vente du livre. Parfois, un journaliste demande une interview. Lui a généralement très bien lu le livre. 

Bien-sûr, le livre parfait n'existe pas : telle image coûtait si cher que cela aurait compromis l'équilibre financier du projet, ou bien, en dépit des multiples vérifications, il est bien rare que l'on ne laisse pas une erreur, généralement minime, mais qui vous reste dans la chair comme une épine. Surtout s'il s'agit d'une erreur de date ou de quelque autre élément apparemment anodin, mais que les autres spécialistes du sujet auront vite fait de relever...